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mardi 15 janvier 2008

Les années tragiques

Les années tragiques
En 1985, écrasé par le poids de ses échecs successifs, René Lévesque sombre. Il va si mal que son entourage songe à le faire déclarer inapte à gouverner, nous apprend Pierre Godin dans le dernier tome de sa biographie.

par Pierre Godin

publié dans L'actualité du 15 novembre 2005 Dans cet article
· Les années tragiques
· Dix ans dans la peau de LévesqueRené Lévesque est un homme seul. Les autres ne sont que des ombres qui passent dans sa vie. Sans ami véritable à qui se confier, il garde tout en lui. Au Silver Sands Resort, sur la côte sud de l'île de la Barbade, il commence à boire tôt le matin et plus la journée avance, plus il devient insupportable, agressif, même. Il craque.

«Il devenait parano et s'imaginait que je complotais pour le faire démissionner, se souvient Corinne Côté. J'étais son souffre-douleur, parce que j'étais la personne la plus proche de lui.»

Ça ne peut plus durer. Jean-Guy Guérin, son chauffeur personnel qui en mène large, s'entend avec Corinne pour avertir le «bunker» que le premier ministre a besoin d'aide. Il s'adresse à l'ex-chef de cabinet Jean-Roch Boivin, qu'il joint chez lui.

«C'est si grave que ça, Guérin? – Il est fou à lier, faites quelque chose avant qu'il soit trop tard! – Renvoyez-le à Québec, on va s'en occuper.»

La solution, on la trouve sur place: René Lévesque rentrera seul au Québec pour se faire soigner. Un vol interminable. Il n'arrête pas de chialer contre tout le monde. À Mirabel, il fait – 25º. Vêtu d'un «safari» d'été rescapé de la course des grands voiliers, René Lévesque ne pourra pas aller très loin. Deux policiers prennent la relève de Victor Landry, le garde du corps qui l'accompagnait dans l'avion. Pour éviter que les voyageurs ne le voient dans ce piteux état, ils prennent une sortie dérobée réservée aux VIP.

Avant de se rendre à son bureau de Montréal, René Lévesque passe chez Francine Lalonde pour finaliser sa nomination comme ministre de la Condition féminine. «J'ai jamais été soûl comme ça de ma vie», s'excuse-t-il. Quand il débarque le lendemain à son bureau d'Hydro-Québec, boulevard Dorchester, à Montréal, les lieux sont quasi déserts.

À la suggestion du «bunker», on appelle à la rescousse Yves Michaud et Jean-Roch Boivin. «Viens pas m'achaler!» dit René Lévesque au premier, qui entrouvre la porte de son bureau. Yves Michaud a pourtant l'habitude. Il sait comment l'amadouer, jouer son rôle de fou du roi. Ce jour-là, il n'a pas le temps de faire son numéro qu'il se fait lancer par la tête une boîte de trombones ou un cendrier, il ne sait plus trop. «Ça ne va pas, René? T'es vraiment pas bien», l'avise-t-il en claquant la porte.

Le lendemain matin, moins agité que la veille, René Lévesque téléphone à Jean-Guy Guérin à la Barbade, pour le prier de garder Corinne avec lui et de veiller sur elle. Il lui vante aussi Francine Lalonde: «Elle ferait un bon ministre de la Condition féminine, hein, monsieur Guérin?» Le policier en déduit que l'incorrigible séducteur a fait une nouvelle conquête.

À son bureau d'Hydro-Québec, il redevient aussi impatient et grognon que la veille. «M me Lalonde n'est pas encore arrivée?» demande-t-il à Normand Mainville et Ronald Chevalier, les deux gardes du corps qui le «protégeront contre lui-même» jusqu'à Québec.

L'équipage s'arrête au relais du Château Madrid, à mi-chemin de Montréal et de Québec. René Lévesque a faim. Il montre un visage bourru, fermé et, contrairement à ses habitudes, il ne parle à personne. Assis au comptoir en «U», il commande un sandwich aux tomates. La serveuse a intérêt à réagir vite. Il est 13 h, il fait –20° dehors et le premier ministre du Québec, en t-shirt estival, avale un sandwich. On le dévisage, mais comme il n'a pas l'air dans son assiette, personne n'ose s'adresser à lui, jusqu'à ce qu'un téméraire s'approche, malgré l'invitation du chauffeur à dégager: «Bonjour, monsieur Lévesque! – Je mange, là, y'a-tu moyen d'être tranquille?»

Au «bunker», le scénario de Montréal se répète. L'heure est grave: le premier ministre n'est plus en état d'assumer ses fonctions. Le scandale peut éclater à tout moment, si jamais une âme mal intentionnée donnait un tuyau à la presse. Martine Tremblay(directrice de cabinet)et Marie Huot(responsable de l'agenda de René Lévesque)alertent Pierre Marc Johnson, qui est médecin, Louis Bernard, secrétaire du gouvernement et proche conseiller, Bernard Landry, vice-premier ministre par intérim à la place de Marc-André Bédard, hospitalisé à Chicoutimi, et Yves Duhaime, l'ami. «Il était dans une détresse à fendre l'âme», se rappellera Bernard Landry.

Il y a au moins un consensus: René Lévesque glisse sur une pente autodestructrice. Mais faut-il pour autant le faire déclarer inapte à gouverner? Que faire d'une personne qui représente un danger potentiel pour la sécurité de l'État? Selon l'ex-conseiller Michel Carpentier, l'idée d'une forme d'impeachment à la québécoise a été considérée un moment, puis abandonnée. Le souvenir de Louis Bernard est différent: «On n'avait pas besoin d'une procédure d'exclusion, car M. Lévesque n'avait pas commis de geste contraire à l'intérêt du Québec. Il était juste dysfonctionnel temporairement, mais l'État continuait de fonctionner.» De son côté, Bernard Landry dira: «On a agi avec précaution, car il était élu par le peuple et il était notre ami.»

Si on doit prendre les grands moyens pour obliger le premier ministre à se faire soigner, tous conviennent qu'il faut respecter sa dignité et ses droits. Pour les connaître, ces droits, Pierre Marc Johnson demande qu'on assigne au premier ministre l'avocat du Cabinet, Gilles R. Tremblay, qui, interloqué, se fait dire: «Vous êtes l'avocat de M. Lévesque, vous le défendez contre nous…» L'avocat déclare que si le premier ministre était placé sous médication, il ne pourrait être laissé à lui-même ni remplir sa fonction. Il reviendrait donc au médecin de trancher.

Louis Bernard ne voit qu'une solution: faire venir un médecin. Le temps manque pour convoquer le Conseil des ministres. Pierre Marc Johnson se souvient: «On était dans une situation urgente où le premier ministre ne pouvait plus remplir ses fonctions, mais ne voulait pas le reconnaître. Moi, comme médecin, juste en le voyant, je savais ce qui se passait chez lui. C'était horrible, ça m'a brisé de le voir dans cet état.»

C'est à lui que va incomber la mission ingrate d'informer Corinne Côté, toujours à la Barbade, de la décision d'hospitaliser son mari. Il est conscient de jouer deux rôles, celui de ministre et celui de médecin. De plus, son titre de dauphin peut laisser soupçonner qu'il a un intérêt personnel à faire interner le premier ministre. «À l'autre bout du fil, Corinne n'était pas d'accord, dira-t-il. Elle savait qu'il avait besoin de soins, mais trouvait suspect que ce soit moi qui l'appelle. Cela a créé entre nous un froid qui a duré.»

Dans l'antichambre où elle attend de voir le premier ministre, Francine Lalonde est intriguée par le va-et-vient. Pierre Marc Johnson passe la voir: «Il y a un petit problème, il faut hospitaliser M. Lévesque.» Le rendez-vous de la future ministre est à l'eau. Quant à sa prestation de serment, Dieu seul sait quand elle aura lieu. Pour l'instant, elle se sent comme un cheveu sur la soupe.

De son côté, Bernard Landry appelle son chef de cabinet, Claude H. Roy: «On vit un gros drame…» À titre de vice-premier ministre, il se retrouve sur la sellette. Surtout, il veut éviter d'agir comme dans une république de bananes, où l'on dépose le président au mépris du droit. Il demande donc au médecin mandé par Pierre Marc Johnson – et qui est lié par le secret professionnel: «Si on ne fait rien, peut-il y avoir des dommages irréversibles dont nous pourrions être tenus responsables?» À quoi Johnson ajoute: «Nous vous demandons un jugement professionnel. Tenez compte le moins possible du fait qu'il s'agit du premier ministre.» Réponse positive du spécialiste.

Avant de pénétrer dans le bureau du chef, Louis Bernard arrête Yves Duhaime: «De nous tous, Yves, c'est toi qui es le plus proche de lui. Peut-être peux-tu essayer de le raisonner une dernière fois?» René Lévesque termine un coup de téléphone, puis la conversation s'engage. À un moment donné, Louis Bernard a le malheur de dire: «Vous êtes très fatigué, même trop fatigué pour continuer comme ça.» Le mot écorche les oreilles du premier ministre. La petite brute en lui se réveille. Il empoigne le pacifique Louis Bernard par les épaules et le plaque contre le mur. Intervention du garde du corps, Gilles Lévesque, une armoire à glace, qui parvient à le maîtriser pendant que le médecin appelé à la rescousse lui administre un calmant. Il faudra deux piqûres pour en venir à bout.

Les deux policiers qui le conduisent à l'hôpital de l'Enfant-Jésus de Québec se demandent s'ils ne participent pas malgré eux à un putsch. Depuis que le premier ministre a perdu la tête, à la haute direction de la SQ on se demande jusqu'où la police doit aller pour le protéger contre lui-même.

Restée sur place, Francine Lalonde réussit à faire adoucir le communiqué de presse préparé par Martine Tremblay, Marie Huot et l'attachée de presse Catherine Rudel-Tessier. Trop alarmiste, le texte évoque le retour d'urgence du premier ministre de la Barbade. «Je ne connais rien à la stratégie politique, se risque Francine Lalonde. Pourtant, si j'en crois mon expérience syndicale, il ne faut pas inquiéter la population, mais la rassurer.» Le communiqué dira simplement que le premier ministre est rentré de vacances plus tôt que prévu pour subir des examens médicaux. «Lévesque: surmenage», titrera la presse, qui ignore le fond de l'histoire.

«Je veux sortir d'ici dès ce soir!» lance le chef de l'État aux deux médecins de l'hôpital qui procèdent à toute une série d'examens: électrocardiogramme, radios pulmonaires, scanner cérébral et divers tests biologiques. Il n'a pas subi de check-up depuis 1951, soit à l'époque de la guerre de Corée. Il se sent humilié d'être malade, lui qui a toujours refusé d'être soigné. Sa théorie, simpliste, pour conserver la santé: décrocher trois à quatre jours de temps à autre pour recharger ses batteries. Dans la soirée, il appelle Gilles R. Tremblay: quels sont ses droits? Il ne veut pas coucher à l'hôpital. «Pourquoi pas?» insiste l'avocat, qui se fait claquer la ligne au nez.

René Lévesque se comporte comme un enfant, mais les sédatifs aidant, il se résigne à dormir dans la chambre 370, dans l'aile nord de l'hôpital, réservée aux patients de marque.

Le vendredi 11 janvier, en fin d'après-midi, il fausse compagnie à ses médecins, se privant d'examens plus approfondis. Malgré tout, leur diagnostic est très positif. Aucune pathologie particulière, pas de cancer du poumon, comme la rumeur a couru, ni de tumeur au cerveau. Le D r Jean-Pierre Bouchard précise que le premier ministre fait partie des 10% de personnes les plus en forme dans sa tranche d'âge. Son confrère Pierre Langelier, spécialiste en médecine interne, avoue qu'il a été étonné de n'entendre aucun bruit pulmonaire chez un tel fumeur invétéré.

Aussitôt «libéré» de l'hôpital, frais comme une rose, notent ses proches, René Lévesque exulte. «Je vous l'avais bien dit que je n'avais rien», triomphe-t-il devant sa sœur Alice. Il fanfaronne tout autant devant son vieil ami Jean-Paul Gignac, son homme de confiance à la direction d'Hydro-Québec, à l'époque où il en était le ministre de tutelle, durant les années 1960: «Tout le monde disait que j'étais fini. J'ai les poumons d'un bébé!» Gros fumeur lui-même, l'ingénieur réplique: «Vous avez peut-être des poumons de bébé, mais avez-vous fait vérifier vos artères?» Question prémonitoire. [L'autopsie de René Lévesque révélera qu'avant sa crise cardiaque fatale le premier ministre avait subi quatre infarctus, son cœur était très endommagé et ses artères, obstruées à 95%.]

A-t-il fait un burnout ou une dépression grave? Ni l'un ni l'autre. Il n'aime pas ces mots. Dans ses mémoires, il ramènera sa «fatigue» à une aventure irréelle où Molière se le disputait à Kafka. Mais il reste, qu'il l'admette ou non, qu'il a disjoncté. Et les témoins pour le jurer ne manquent pas. Pour Denis Lazure, ancien ministre des Affaires sociales et psychiatre, René Lévesque était un idéaliste habité par le sentiment d'avoir tout raté. Il avait passé sa vie à répéter aux Québécois qu'ils n'étaient pas nés pour un petit pain, et il essayait de s'en convaincre en le prêchant, mais à la fin, il avait perdu confiance, il n'y croyait plus, était déprimé. Jean-Roch Boivin abonde dans le même sens: «Ce qui l'a écrasé, c'est le poids de son échec à l'égard de la souveraineté. Un poids énorme qu'il a refusé de partager. S'il l'a mise de côté pour l'élection de 1985, c'était une simple tactique, ça ne réglait pas la question de fond: que faire de cette souveraineté? Par quel bout la prendre? Il n'a pas voulu amorcer une vraie réflexion là-dessus. Il a gardé ça en dedans.» Jean Garon offre une explication plus simple: «Il s'est senti trahi par ceux de ses ministres qui comptaient le plus pour lui.»

Qu'en dit la science? Selon le psychiatre Hugues Cormier, sa peur de la médecine traduisait, chez René Lévesque, sa peur de la mort. Une question non réglée parce qu'il n'était pas psychology-minded, c'est-à-dire porté à s'analyser.

Et puis René Lévesque vivait la crise du late life, qui frappe les hommes entre 60 et 65 ans. «Il était dans une phase de transition, dit le D r Cormier. C'est le moment où l'on fait un bilan de sa vie. Si tout s'effondre, comme c'était son cas – surtout après le référendum, qui constituait la bataille de sa vie –, on prend une méchante claque.» Bref, le premier ministre a fait une dépression grave, caractérisée entre autres par des dérives qui sont autant de symptômes d'un épisode maniaque. La manie est un excès qui se traduit par l'abus de sexe, d'alcool, la logorrhée, les actes ignobles, la violence, le délire, même.

René Lévesque avait toutes les raisons de souffrir d'une dépression, selon Hugues Cormier: «Le stress de la fonction, l'épisode Charron, l'affaire Morin, le référendum, la nuit des longs couteaux, etc. Vous mettez tout cela ensemble, et suivant votre background génétique, vous faites un ulcère, une crise cardiaque ou une dépression. C'est l'organisme qui se défend. Il fallait que René Lévesque craque, mais il aurait pu le faire autrement. Il aurait pu faire une schizophrénie.»


Ça prend tout un homme pour prendre toutes ces responsabilités. Surtout celles qui avait un lourd poids politique. C’est inhumain! Bravo quand même à cet homme remarquable!
Marc Séguin
Val d’Or


René Lévesque est la personnalité le plus surévaluée du Québec, après Michaëlle Jean évidemment.
Lévesque était contre la présence du Bloc à Ottawa. C'est la plus belle réussite des souverainistes de la dernière décennie. La présence bloquiste à Ottawa permet aux nationalistes d'affirmer leur présence au niveau «national-canadien» et de développer une expertise dans les champs de juridiction fédérale, comme l'armée, les Indiens ou les relations internationales. Elle rappelle quotidiennement au Canada que les souverainistes font la moitié de la population du Québec et occupent 90% du territoire.

Lévesque était contre la Loi 101. C'est grâce au docteur Laurin qu'on a pu enfin avoir LA loi établissant une fois pour toute qu'au Québec, c'est en français que ça se passe. Lévesque, qui déjà avait abandonné le droit de veto à Vancouver avec le Père de l'étapiste(traître qu'il n'avait pu dépister!), s'est fait rouler par Trudeau comme un enfant d'école lors des négociations constitutionnelles en acceptant l'idée d'un référendum sans en parler à ses collègues.

Mais surtout, Lévesque nous a fait perdre près de 40 ans avec son inutile ASSOCIATION. Une patente à gosses qui n’a ni queue ni tête après un divorce. On ne va pas se remarier avec le Canada après 250 ans d'occupation quand même? Les Tchèques et les Slovaques ne se sont pas remariés après. Les Baltes et les Russes non plus.Bref, est-ce qu'on pourrait se trouver un autre héros svp?
Jacques Noël
Québec

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